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Le colis
"Je crois que c'est un paquet piégé."
Posted in Nouvelle on 17 août 2022 0 Comments 7 min read
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— Je crois que c’est un paquet piégé.

Silence.

La sueur s’étala sur son t-shirt. Au niveau des aisselles, puis du dos. Le cerveau figé, mais le corps agité, Julien tenait toujours le colis entre ses mains. Devait-il le reposer délicatement sur la table du salon ? Devait-il le garder pour limiter les mouvements ? Combien de temps résisterait-il dans cette position ? Le jeter par la fenêtre ? L’explosion soufflerait les vitres de la maison. Du quartier ! Les voitures en flammes. Les cris. Les enfants brûlés.

— Ohé ? Julien ? Tu fais de Knight Squad avec nous ou quoi ?

— Antoine, le paquet… Y a pas de nom dessus. Y a un bruit. Il est piégé !

— Mais qu’est-ce que tu racontes encore ? Il vient d’où ce colis ?

— Justement, je ne sais pas ! Il était sur la table.

— Ah oué, non, c’est moi, intervint Anthony. Enfin… y a un livreur, je crois Abeille rush, tu sais la camionnette noire avec l’abeille dessinée, qui est passée tout à l’heure. Je l’ai mis sur la table du salon en me disant que c’était à l’un d’entre vous. 

Antoine s’avança vers le paquet. Julien gardait les mains crispées dessus. Son colocataire, les yeux levés au ciel, lui arracha. La boîte était un carton sans marque, fermé avec du ruban adhésif en polypropylène. Ultrarésistant. 50 microns probablement. Sur l’étiquette de l’expéditeur, l’encre s’était effacée et quant au destinataire, il n’était pas indiqué. Seule l’adresse de leur maison était inscrite. 

— Moi j’ai rien commandé, fit Antoine.

— Moi non plus.

— Bah… moi j’habite pas ici… 

— Non, mais… on sait Anthony ! Ça peut être Anne ou Camille. 

Antoine colla son oreille contre le colis. 

— T’entends ? T’entends ?

— Oui, oui. Mais de là à dire que c’est une bombe… 

Antoine rit, d’un éclat rythmé comme une alarme de réveil, et secoua la boîte.

  — Franchement, qui nous enverrait ça ? Tu regardes trop de films, Julien. Faut que tu te trouves une meuf…

— Mais c’est quoi, alors ?

— Qu’est-ce que j’en sais ! 

Sa raillerie saccadée rebondit sur les murs.

— On demandera aux filles quand elles rentreront ! Et va prendre une douche, par contre. Je joue pas à côté de toi comme ça.

— Quand j’angoisse, je transpire… c’est bon… 

Antoine posa le colis sur la table basse auréolée de traces et s’installa sur le canapé d’angle, Jean-Luc sur les talons. Le chat ronronna, la tête calée contre la hanche de son maître. Les escaliers gémirent, le plancher se plaignit à son tour, puis l’eau dansa dans les vieilles canalisations. La maison de briques à deux étages était bruyante. Les voisins ne manquaient pas de leur signaler, mais ce n’était pas pour les mêmes nuisances. Pour couvrir les angoisses de leur début dans la vie active, ils montaient le son des enceintes. Ils recevaient leurs amis, tout aussi oppressés par ce qu’on attendait d’eux, ce qu’il désirait vraiment et ce que le monde devenait. Les bouteilles de bière ingurgitées s’accumulaient dans les grands sacs de course, prêtes à rejoindre le container quelques jours plus tard. 

Antoine et Anthony enchaînaient les courtes parties du jeu vidéo où leurs chevaliers tour à tour devaient récupérer un drapeau, s’entre-tuer à coup d’épée ou de mitrailleuse improbable, gagner le match de foot, avec autorisation de se débarrasser des adversaires qui réapparaissaient sans cesse au bout de quelques secondes. Anne et Camille passèrent la porte d’entrée en discutant vivement de leur journée respective. Sacs et clés atterrirent sur la table, les baskets s’empilèrent sur le côté du portemanteau surchargé. 

— Quand est-ce qu’on achète un meuble à chaussures ? lança Camille. Ah, salut Anthony ! Je t’avais pas vu.

— Et moi ?

— On a petit-déjeuné ensemble, Antoine. Tes ados ont été sages ?

— Moarf… J’ai monté un peu le ton avec un ou deux. Et toi, les bouts d’choux ?

— Dylan était absent, donc journée idéale.

Jean-Luc, lassé, s’étira et sauta sur la table basse. Il secoua sa patte et éclaboussa l’assistance. Un liquide transparent et gluant se répandait du paquet. Il n’était toujours à personne. Anthony trempa son doigt dans le produit et le mit à sa bouche sous les cris dégoûtés de ses amis. Il haussa les épaules. Ça avait un goût de bonbon à la fraise. Antoine décala le colis pour essuyer la table basse. Un bruit d’abeilles fit vibrer le carton. Julien, sortant enfin de la douche, poussa une exclamation. Ils sursautèrent. 

— Il est piégé ce paquet ! Je vous l’ai dit !

— On a qu’à l’ouvrir. Vous avez peut-être oublié ce que vous avez acheté.

— On n’est pas tous dans la lune, Anthony. 

— Oh, c’est horrible, Antoine, de lui dire ça ! le défendit Anne.

— Ça ne se fait pas d’ouvrir comme ça le colis de quelqu’un d’autre !

— Elle est à toi cette commande, Camille ? demanda Antoine.

— Non, non. Je signale juste que… ça se fait pas. 

— Mais puisque c’est à personne !

Les quatre colocataires débattaient pour connaître le sort du paquet. Anthony, quant à lui, avançait des théories sur ce qu’on pourrait y trouver: des accessoires culinaires (fouet électrique et sirop de fraise), des bonbons fondus enfermés avec une guêpe, une ruche… Personne ne releva ses suggestions. Il prit un couteau dans la cuisine et trancha le ruban adhésif. Julien ferma les yeux. Les autres se penchèrent sur le contenu. Le rire singulier d’Antoine mit fin à l’angoisse.

À l’intérieur du paquet, un sextoy vibrait. Un tube de lubrifiant était dévissé et s’écoulait sur toute la marchandise. Antoine attrapa l’objet violet et recourbé et le pointa sous le nez de Julien. C’était une belle bombe ! Elle n’était pas artisanale, dommage. Il notait tout de même un effort pour éviter le suremballage, même si celui-ci avait conduit au déclenchement de l’appareil. Désormais, il ne restait plus qu’à savoir qui avait acheté ces produits.

Les colocataires se dévisagèrent. Jean-Luc gratta sa litière et sprinta. Son odeur le suivit et embauma tout le salon. Antoine eut une nouvelle crise d’hilarité. Les autres invectivèrent le chat qui se léchait les pattes sur le carrelage de la cuisine ouverte. Il leur tourna le dos.

Ils s’examinèrent à nouveau. Antoine assumerait totalement cet achat. Julien n’aurait pas attiré l’attention dessus. Anthony ajouta qu’il n’habitait pas ici, ce que tout le monde savait bien, bon sang !

Anne s’empourpra. Elle aurait mieux fait de choisir la livraison en point relais. Ses amis gloussèrent.

— Allez Anne, il n’y a pas de honte à avoir !

— Mais oui, on a tous une vie sexuelle, plus ou moins active, pas vrai Julien ? railla Antoine.

— J’ai un rabbit rose fluo qui brille dans le noir, avoua Camille.

— Moi, un anneau vibrant et un string éléphant où tu mets…

— On sait, Anthony… Et on aurait préféré ne pas le voir ! Moi, j’ai des Hentaï sous mon lit, je parie que t’as pas ça dans ta bibliothèque, Anne !

Ils la prirent dans leurs bras.

Julien lui tendit le carton et s’excusa d’avoir provoqué toute l’agitation. Maintenant, on ne parlait plus ni de bombe ni de sextoys. Une petite bière et on passait à autre chose !

— Je voudrais juste souligner que ça, ça ne s’utilise pas seule… annonça Antoine en brandissant un gode-ceinture.

Il jeta un regard à la ronde.

Silence.

Julien transpirait.

écriture créative


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